stretching

exposition au FMAC Genève
co-commissariat avec Aurélien Martin 
31 octobre - 15 décembre 2024
Des rythmes entêtants des vidéos de Véronique et Davina, au Parcours Vita en forêt, au Parkour tout court, on sort, on se déplace, on bouge. On s’égare peut-être déjà, mais on s’étire, on s’étend, on stretche et c’est bien là tout le propos.  

Pour cette troisième et dernière proposition du cycle ever ever expanding waves, Isaline Vuille s’est associée à Aurélien Martin, artiste et acteur culturel investi dans de nombreux projets – notamment l’espace d’art Ours Pistache devenu Jeudi et plus récemment La Vraie Vie. Prenant comme terrain de jeu la collection du FMAC, il/elle se sont penché·e sur une période familière et intense des espaces d’art à Genève, autour de 2012-2015, période des études à la HEAD et de la découverte du biotope culturel genevois pour Aurélien et des expériences dans certains de ces lieux pour Isaline. C’est il y a 10 ans et pourtant cela semble proche, et pourtant encore nombre de ces lieux qui sont abordés dans l’exposition n’existent plus – et parfois, malgré leur importance, leur rôle de catalyseur sur la scène artistique, leur intensité même sur une courte période, il n’en reste rien (du moins d’accessible pour le public).  En cause, l’aspect individuel de certains espaces d’art, et le fait qu’après un intense engagement – qui s’est arrêté pour diverses raisons : lassitude vis-à-vis des difficultés de financements et de la charge croissante pour les obtenir, nouveaux projets, problèmes personnels ou interpersonnels – on souhaite passer à autre chose. En cause aussi, les aléas de l’informatique qui font disparaître purement et simplement des données parfois soigneusement conservées sur ordinateur ou en ligne – crash ou perte de matériel, oubli de paiement d’un nom de domaine, et pchittt… c’est fini. 

Si elle débute le soir d’Halloween, stretching a ainsi un peu pour mission d’inviter des espaces défunts à parler, à échanger, propose de percevoir des réminiscences et des formes d’actualité. Des projets d’artistes un peu foutraques où sont invit·é·s des ami·e·s puis des ami·e·s d’ami·e·s avec d’autres ami·e·s (Tobby Landei), des collectifs mouvants avec parfois une expérience forte de groupe et une envie de faire la fête en même temps qu’une certaine exigence professionnelle (Marbriers, Jeudi), des lieux au long cours gérés par des historien·ne·s de l’art à vocation professionnelle (attitudes, Piano Nobile) ou des équipes mixtes (Hard Hat) : les espaces évoqués via des documents d’archives témoignent de l’étendue du spectre des espaces d’art indépendants, variés tant en typologie qu’en mode de fonctionnement, de durée, de modèle économique, de publics que de missions et de pratiques.  

Au sein de l’exposition, on rencontrera d’autres lieux mentionnés plus loin via des notices, certains ayant régulièrement vendu des oeuvres au FMAC, d’autres non. Cette question – est-ce que le FMAC « se fournit » auprès des espaces d’art et si oui comment ? – traverse toute la programmation ever ever expanding waves. Si cela peut sembler anecdotique, on peut néanmoins y voir plusieurs enjeux. La collection a ceci de particulier que la commission d’acquisition (composée de membres externes) ne recherche pas activement des oeuvres, mais se prononce sur des propositions qui lui sont faites, soit par les artistes directement, soit par des intermédiaires comme des galeries commerciales, des lieux d’exposition, des espaces d’art indépendants.  
Si ces derniers pratiquent généralement des pourcentages inférieurs aux 50% habituels des galeries, ils n’en retirent pas moins de ces ventes un montant qui participe au financement de leurs activités – plutôt en mode « beurre dans les épinards » que « business plan », immédiatement réinvesti dans les projets de ces structures à but non lucratif. Et si certains semblent avoir leurs entrées – est-ce à cause des artistes, des formats proposés, plus « collectionnables », conservables, moins expérimentaux, installatifs, engagés peut-être ? – d’autres voient leurs dossiers rarement, ou jamais, acceptés. D’autres lieux, nombreux également, ne font simplement pas la démarche de proposer des oeuvres à l’acquisition, cela ne faisant pas partie de leurs missions et/ou représentant une charge administrative supplémentaire. Les oeuvres produites en espace d’art finissent parfois par rentrer par d’autres biais : acquisition auprès de l’artiste par la suite ou don en contrepartie*.  

L’exposition stretching propose une expérience du grand écart entre des oeuvres, des périodes, des espaces d’art très diversifiés, avec une sélection subjective et non-exhaustive d’oeuvres de la collection et d’autres empruntées ici et là, remontant aux années 1970 et s’étendant jusqu’à aujourd’hui. Avec un dispositif évoquant l’espace extérieur, invitant des oeuvres-mobilier urbain à constituer une sorte d’agora, propre à se rassembler et à susciter des échanges et des récits, avec également des murs d’affiches figurant de la collection d’art de la Ville de Genève, produites pour les hauts lieux de la culture indépendante genevoise que sont la Cave 12 et le Spoutnik, elle clôt la programmation ever ever expanding waves sur une pirouette et des discussions encore ouvertes, où chacun·e possède un petit bout de l’histoire, signe que le sujet a encore de beaux jours devant lui.  

* Le don en contrepartie désigne des dons qui devaient être effectués par les artistes bénéficiaires d’un atelier de la Ville de Genève au terme de leur bail ; ils·elles devaient céder une oeuvre de leur choix pour la collection. Pour diverses raisons, dont la problématique du stockage et le fait de, par ce biais, priver l’artiste de pouvoir proposer une acquisition régulière avec une vente, le FMAC a mis un terme à cette pratique en 2019.


crédits photo : Julien Gremaud
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