ssoabs - be aware, record
Avec Ismaïl Bahri, Charles Heller & Lorenzo Pezzani, Artıkişler 
Kolektifi, SLON – Groupe Medvedkine de Besançon, Oliver Ressler, Ingrid 
Wildi Merino. Prologue * Chris Marker aka Kosinki
Médiathèque du FMAC
12.04 – 17.06.2017
 
    Au tournant des années 2010, l’image en mouvement produite grâce aux 
téléphones portables a pris une ampleur sans précédent et occupé une 
place centrale dans l’enregistrement des printemps arabes. Témoignages, 
preuves mais également messages à l’attention de proches ou du reste du 
monde, ces images postées sur les réseaux sociaux quasiment en temps 
réel ont fait le tour du web. Si leur effet direct dans le développement
 des révoltes mêmes a été discuté [1], elles ont eu un impact immense 
dans la diffusion des conflits au niveau régional et international, et 
ont été reprises par diverses chaînes de télévision, confirmant le rôle 
d’Internet comme plateforme d’information de première main. De manière 
diachronique, cela fait écho aux paroles de Michel Foucault dans un 
entretien de 1974 où il évoque ce qu’il qualifie de « mémoire populaire »
 : « Il est absolument vrai que les gens, je veux dire ceux qui n’ont 
pas le droit à l’écriture, à faire eux-mêmes leurs livres, à rédiger 
leur propre histoire, ces gens-là ont tout de même une manière 
d’enregistrer l’histoire, de s’en souvenir, de la vivre et de 
l’utiliser. [2] »
Artistes et cinéastes ont un rôle prépondérant dans la mise en images
 de l’histoire, en particulier l’histoire des luttes, marqués par un 
engagement – ou du moins souvent une sympathie – envers les causes dont 
ils se font l’écho. Entre la fin des années 60 et le début des années 
70, le cinéma militant se développe en lien avec les mouvances 
sociétales. Des collectifs d’artistes et de cinéastes se constituent, 
mettant en cause l’unicité et l’autorité de l’auteur, et proposent de 
nouvelles formes d’action collective. Le collectif SLON (Société pour le
 Lancement des Œuvres Nouvelles), cofondé par Chris Marker, se rapproche
 des mouvements ouvriers et met à leur disposition les moyens 
d’expression du cinéma, permettant aux ouvriers eux-mêmes de faire 
passer leurs revendications par le biais de l’image. 
Quarante ans plus tard, le temps de l’Internet et des téléphones 
portables donne à chacun la possibilité de prendre la parole et de la 
faire circuler, inventant ainsi une nouvelle manière de faire de 
l’histoire. Le smartphone joue un rôle particulièrement important dans 
la crise migratoire de ces dernières années : il permet aux migrants de 
se renseigner, de se localiser, d’entrer en contact avec des 
organisations d’aide et d’autres migrants via les réseaux sociaux, de 
pouvoir s’organiser indépendamment des actions et des programmes 
(parfois en leur défaveur) des autorités des pays par lesquels ils 
transitent. Dans le cadre des mouvements sociaux contemporains, par 
exemple Nuit Debout en France en 2016, les images captées par les 
manifestants eux-mêmes ont un poids important et constituent un relais 
face aux médias traditionnels, de même qu’une force d’opposition 
vis-à-vis des autorités et des forces de l’ordre. 
Par le biais du montage, de l’assemblage, de la collecte d’images ou 
du recoupement de données, les artistes réunis dans l’exposition « be 
aware, record » travaillent sur des questions sociétales ou historiques 
et donnent une forme, précisent un contenu, définissent une trame 
narrative. Qu’ils conservent des formats bruts, qu’ils focalisent sur un
 sujet ou une forme particulière ou que leur approche tende à une sorte 
d’abstraction, il s’agit toujours de témoigner d’une prise de position 
par l’image en mouvement. Effectuant des recherches et entrant en 
contact direct avec des personnes ou des organisations, ils obtiennent 
des données de première main, bribes incomplètes ou informations 
précises, et reconstituent ainsi des histoires non-officielles, rendant 
compte de différents types de réalité. 
À une période où la notion de « vérité » en tant que conformité d’un 
récit avec un fait est fortement ébranlée – on pense notamment à la 
notion de fait alternatif avancé début 2017 par Kellyanne 
Conway, conseillère de Donald Trump –, les pratiques réunies ici 
témoignent d’un engagement individuel ou collectif permettant le 
développement d’une pensée critique. Ce qui constitue, selon Hannah 
Arendt, un des meilleurs remparts à la montée des totalitarismes.
[1] Dork Zabunyan, « Révoltes arabes et images impersonnelles », in May Revue n° 9, juin 2012.
[2] Michel Foucault, « Anti-Rétro », Cahiers du cinéma, nº 251- 252, juillet-août 1974 ; cité par Dork Zabunyan, in idem.