ssoabs - belong and observe
Avec Sylvie Boisseau & Frank Westermeyer, Christoph Draeger, Christy Gast, Alexandra Navratil, Uriel Orlow, Jean Painlevé
Prologue * René Bauermeister
Prologue * René Bauermeister
Médiathèque du FMAC
10.11.2016 – 29.12.2017
Tandis que la population mondiale consommerait actuellement
l’équivalent d’une fois et demie les ressources disponibles de la
planète, l’une des urgences de la crise environnementale semble être la
prise de conscience. Comme le souligne le philosophe Bruno Latour dans
ses interventions, la question n’est pas de savoir quand la catastrophe
écologique va avoir lieu, mais plutôt de se rendre compte qu’elle a déjà
eu lieu et qu’il est nécessaire de changer de paradigme. Outre la
crainte de dommages collatéraux tant au niveau politique qu’économique,
l’un des freins à cette prise de conscience est, toujours selon Latour,
la difficulté d’appréhension du problème. Les alertes sont en effet
lancées par des représentants des sciences de terrain (climatologues,
biologistes, géologues, océanologues, etc.) qui relèvent chacun une
multitude de faits plutôt qu’une preuve unique.
C’est dans ce contexte que les géologues ont récemment annoncé, après
des années de discussions, que la Terre était passée de l’ère de
l’Holocène à celle de l’Anthropocène, signifiant que l’homme est
aujourd’hui le principal acteur du devenir de la planète. Dans ce cadre,
le lien au vivant est extrêmement sensible : par ses multiples actions,
l’homme est en relation constante avec le vivant, animal et végétal,
sur lequel il a un impact et qu’il participe à modifier. Les
théories de James Lovelock [1] sur Gaïa, qui désignent la Terre comme un
écosystème où tous les éléments sont liés et interdépendants,
permettent de questionner au passage l’hégémonie de l’humain – qui
semble aujourd’hui indiscutable, sauf à considérer les perturbations
climatiques et environnementales comme des actes de sabotage.
L’exposition belong and observe (ou comment appartenir au
monde tout en étant à même de l’observer) se nourrit de ces réflexions
et prend comme point de départ trois films du biologiste et réalisateur
Jean Painlevé (1902-1989). Précurseur du cinéma scientifique, Painlevé
enregistre et transmet de précieuses informations sur les espèces qu’il
isole et observe, dans le but « d’accroître consciemment les
connaissances humaines ainsi que d’exposer les problèmes et leurs
solutions au point de vue économique, social et culturel » [2], liant
ainsi le destin des animaux avec celui des hommes. S’il ne renonce
jamais à une précision et une rigueur scientifique, c’est grâce aux
nouvelles techniques cinématographiques que Painlevé parvient à créer
des œuvres visuelles d’une étonnante modernité, où les animaux
acquièrent de curieuses caractéristiques anthropomorphiques. Oscillant
entre art et science, les films de Jean Painlevé proposent une
reconfiguration du savoir scientifique et permettent au spectateur de se
sentir proche des sujets filmés.
En regard de ces films, les artistes réunis dans l’exposition belong and observe
ont en commun de se mettre en situation d’observation en menant des
recherches parfois longues sur le terrain ou dans des fonds d’archives,
souvent en collaboration avec des biologistes, activistes,
anthropologues ou en discussion avec les populations locales.
Recherchant pour certains les traces de l’histoire coloniale dans la
botanique ou la faune indigène, pour d’autres à pointer les excès de
l’exploitation des ressources naturelles, ils explorent les
problématiques spécifiquement liées à un territoire, n’hésitent pas à
mettre en lien différentes sources et à les interpréter. Tout en se
déployant dans le champ dans l’art, les pièces présentées participent
peut-être à la prise de conscience des problématiques environnementales
et mettent en lumière des contextes souvent complexes, où interviennent
de multiples tensions, politiques, économiques et sociales.
[1] James Lovelock, scientifique et environnementaliste britannique né en 1919.
[2 ] Extrait de la définition du documentaire selon l’Union Mondiale du Documentaire, reprise par Jean Painlevé dans « La castration du documentaire », in Les Cahiers du Cinéma n° 21, mars 1953.